samedi 31 octobre 2009

Un point d'appui


La nature a horreur de la solitude et réclame quelque chose qui puisse servir d'appui ; il n'y en a pas de plus doux que l'amitié.

Cicéron, De amicitia, XXIII.

vendredi 30 octobre 2009

Que désirons-nous vraiment ?


Que désirons-nous vraiment ? Au fur et à mesure que j'essaie d'être à l'écoute de mes désirs les plus profonds et de ceux des autres, le mot qui semble le mieux décrire ces désirs du coeur humain est le mot "communion". Communion signifie "union avec". Dieu nous a donné un coeur qui ne trouvera pas de repos tant et aussi longtemps qu'il n'aura pas trouvé la véritable communion. Nous la cherchons dans l'amitié, le mariage, la communauté. Nous la cherchons dans l'intimité sexuelle, les moments d'extase, la reconnaissance de nos dons. Nous la cherchons dans le succès, l'admiration, les récompenses. Mais où que nous cherchions, c'est la communion que nous désirons. (...)

C'est un désir qui vient de Dieu, qui nous occasionne à la fois de nombreuses souffrances et d'immenses joies. Jésus est venu proclamer que notre désir de communion n'est pas vain, mais qu'il sera satisfait par Celui qui l'a mis en nous. Nos moments furtifs de communion ne sont que de faibles aperçus de la communion promise par Dieu. Le véritable danger est de nous méfier de ce désir de communion. Ce désir nous vient de Dieu, sans qui notre vie perd sa vitalité, sans qui notre coeur se refroidit. Nous vivrons de façon vraiment spirituelle seulement lorsque nous aurons trouvé le repos dans l'étreinte de Celui qui est à la fois le Père et la Mère de tous les désirs.

Nous, les êtres humains, souffrons beaucoup. Plusieurs, sinon toutes nos souffrances viennent de nos relations avec ceux et celles qui nous aiment. Je suis toujours conscient que mes angoisses les plus intenses sont causées non pas par les évènements terribles rapportés dans les journaux ou la télévision, mais par mes relations avec ceux et celles qui partagent ma vie quotidienne. Les hommes et les femmes qui m'aiment et qui sont très proches de moi sont aussi ceux qui me blessent. A mesure que nous vieillissons, nous découvrons souvent que l'amour qu'on nous porte n'est pas toujours parfait. Ceux qui nous ont aimés ses sont souvent servis de nous. Ceux qui ont pris soin de nous nous ont aussi enviés. Ceux qui nous ont beaucoup donné attendaient parfois beaucoup en retour. Ceux qui nous ont protégés ont aussi voulu nous posséder à des moments cruciaux. Nous éprouvons souvent l'envie de démêler le pourquoi et le comment de nos blessures, et nous en arrivons trop souvent à la terrible conclusion que l'amour que nous avons reçu n'était pas aussi pur et simple que nous le croyions.

Il est important de nous arrêter pour réfléchir à tout cela, surtout quand nous sommes paralysés par la peur, les inquiétudes et les sombres désirs que nous ne comprenons pas.

Mais il ne suffit pas de comprendre nos blessures. En bout de ligne, nous devons trouver la liberté d'aller au-delà de nos blessures et le courage de pardonner à ceux et celles qui nous ont fait du mal. Le danger qui nous guette est de nous embourber dans la colère et la rancune. Nous nous mettons alors à vivre en "victime" qui se plaignent continuellement des injustices de la vie.

Jésus est venu nous délivrer de ces plaintes autodestructrices. Il dit : "Cessez de vous plaindre, pardonnez à ceux qui vous ont mal aimés, allez au-delà de vos sentiments de rejet, ayez le courage de croire que vous ne tomberez pas dans un abîme de néant mais dans les bras protecteurs de Dieu dont l'amour guérira toutes vos blessures". (...)

Plus je pense aux souffrances humaines de ce monde et à mon désir de les soulager, plus je prends conscience à quel point il est important de ne pas me laisser paralyser par des sentiments d'impuissance et de culpabilité. Il me faut plus que jamais être fidèle à ma vocation : je suis appelé à bien faire les petites choses qui me sont confiées et à goûter la joie et la paix qu'elles m'apportent. Je dois résister à la tentation de laisser les forces des ténèbres m'entraîner vers le désespoir et faire de moi une autre de leurs nombreuses victimes. Je dois garder mon regard fixé sur Jésus et sur ceux qui l'ont suivi, confiant que je saurai suivre pleinement ma mission : être dans le monde un signe d'espérance.

Henri Nouwen, Vivre sa foi au quotidien.

L'impression de distance


Nous étions partis tôt pour avoir le temps de prendre un café, une fois arrivés à l'aéroport. Mais parvenus au petit restaurant près de la barrière d'accès, Frank ne semblait pas avoir la moindre envie de prendre un café ou une bouchée et il me semblait passablement amorti. J'ai senti qu'il était exagérément préoccupé d'obtenir sa carte d'embarquement et de téléphoner à des amis d'Albuquerque. Brusquement, j'ai été saisi par un grand sentiment de solitude. J'ai eu l'impression que nous faisions ce qu'il fallait en pareille circonstance mais qu'en réalité, Frank souhaitait que je le laisse à ses affaires.

Même si je savais en moi-même qu'une partie sinon la presque totalité de ce que je ressentais était une pure projection et traduisait beaucoup plus mon état d'esprit que celui de Frank, je n'ai pu m'empêcher de me tourner vers Frank pour lui dire : "Où es-tu ? Tu es rendu ailleurs. J'espérais que nous pourrions avoir un bon échange et que nos adieux seraient chaleureux. Tu me sembles heureux que les vacances soient terminées".

Frank a réagi vivement. "N'essaie pas de nier la belle semaine que nous avons passé ensemble. Ne bousille pas toute ne réagissant comme tu le fais. C'est vrai que j'ai dû faire un téléphone et que je n'ai pas voulu prendre un café, mais tu en fais tout un plat pour rien. C'est simplement que j'éprouve de la difficulté à parler dans un aéroport".

Mon embarras n'avait d'égal que ma tristesse. Je ne voulais pas gaspiller la belle semaine que nous venions de vivre, mais voilà que nous étions en train de nous disputer pour rien.

Peu de temps avant que l'avion décolle, j'ai pu me ressaisir et remercier Frank pour son amitié. Mais j'étais encore très déçu et durant tout le voyage, je n'ai pas arrêté de songer à la difficulté que j'avais d'intégrer mes sentiments. Il faisait bon de se retrouver à la maison et même s'il a fallu m'atteler rapidement à la tâche de défaire mes bagages, de dépouiller mon courrier et de prendre connaissance des télécopies reçues, j'ai quand même continué à éprouver un sentiment inconfortable en pensant à la matinée.

Plus tard, Frank m'a appelé. Je lui ai demandé pardon et nous avons conversé longuement, ce qui m'a permis de me réconcilier avec la belle semaine que nous avions vécu. Au moment d'aller au lit, j'ai réalisé que, demain, l'évangile du jour parlait du pardon du cœur.

Henri J. M. Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 174-175

jeudi 29 octobre 2009

Ni sur la défensive, ni en colère

A midi, Nathan m'a téléphoné de Calgary. Nous avons eu une bonne conversation, quoique difficile par moments. Je lui ai dit que, au cours des derniers jours, je m'étais senti déprimé, profondément seul, voire rejeté. J'ai ajouté que j'avais été déçu parce que nous n'avions pas eu une bonne discussion depuis quelque temps.

A cela, Nathan a réagi avec beaucoup d'amour. Il n'était ni sur la défensive ni en colère : il m'a simplement dit qu'il n'avait pu se douter de l'intensité de mes sentiments et qu'il voulait m'offrir son soutien chaque fois qu'il le pouvait. Il avait eu une semaine remplie, au contraire de la mienne, ponctuée de visites familiales et de conversations intenses. Il n'avait visiblement pas été sur la même longueur d'onde que moi et, bien sûr, il n'avait pu deviner mon angoisse. Notre conversation m'a fait pleinement apprécier les bienfaits de l'amitié. Mon sentiment de rejet, ma colère, ma dépression et mon angoisse se dissipent peu à peu comme, dans les champs, la neige fond au soleil. Je remercie le Seigneur.

Henri J. M. Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 145-144

mercredi 28 octobre 2009

Le fantôme intérieur


Il semble que j'ai réveillé en moi le fantôme affamé en y consacrant ces lignes ! Toute la journée je me suis senti comme un fantôme affamé : j'avais faim d'affection et d'attentions - appels téléphoniques, lettres et le reste. J'ai fini par en concevoir une colère dirigée non seulement contre tous ceux qui ne me donnaient pas ce dont j'avais un si grand besoin, mais aussi contre les appétits insatiables de mon propre esprit affamé. Je sais que, après tous les voyages et déplacements des derniers mois, il est temps que je retrouve le silence, que je prie, que j'écrive en toute tranquillité, que je sois simplement seul. Mais mon fantôme affamé s'assurait que je demeure agité, à l'affût de la moindre distraction, m'empêchant ainsi de le confronter directement et de mettre un terme à ses plaintes incessantes. (...)

Heureusement, mes prières du soir m'ont apporté un peu de consolation. En les disant à voix haute - hurlant presque dans la maison déserte - j'ai recouvré, sans trop savoir comment, un tant soit peu de paix intérieure.

Henri Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 143-144

mardi 27 octobre 2009

La charité ne passera jamais


Dieu a bien voulu nous faire naître à une vie nouvelle, toute orientée vers lui, il a voulu nous unir à dans le lien de sa charité et nous éloigner de l'affection charnelle par laquelle il nous préparait déjà, comme nous le comprenons aujourd'hui, à cette alliance spirituelle. De cette amitié ancienne, il a fait une affection plus puissante, scellée pour l'éternité. Car la charité - si c'est elle qui inspire notre affection - "ne passe jamais" (1 Co 13, 8) ; elle vient de Dieu, elle demeure en Dieu, immuable, elle donne le pouvoir à l'homme qui la possède, de ne point changer. La charité ignore les tumultes et les ruses du cœur, elle est inaccessible à l'envie. Elle rivalise avec Dieu, non pas dans un esprit d'orgueil, mais dans un sentiment de douceur et de piété : car Notre Seigneur nous assure qu'il est "doux et humble de cœur" (Mtt 11, 29).

Paulin de Nole à Sulpice Sévère, Lettre 11.

lundi 26 octobre 2009

Je t'aimais d'une amitié profane


"Rien ne vaut un ami fidèle, et les saintes paroles affluent toujours dans la bouche de l'homme de bien" (Ecclésiastique 6, 15). Je connais bien en Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu, ces deux maximes tirées du livre de l'Ecclésiastique ; en toi, plus qu'en tout homme, j'ai le bonheur de les vivre, par la grâce de Dieu. Le réconfort que m'apporte ton amitié est un remède de vie, tes paroles sont comme du miel ; comme de l'eau fraîche pour les gosiers asséchés, telle est la bonne nouvelle venue d'une terre lointaine (Proverbes 16, 24-25). Elle nous assure que tu vas bien, elle nous parle la voix de l'amitié et ainsi elle engraisse la moelle de nos os (Proverbes 15, 30), et même elle nous comble de joie et de bonheur puisqu'elle nous est transmise, présentée par tes serviteurs, nos fils dans le Seigneur, puisque nous avons en même temps que ta lettre quelques uns de tes proches. "Comment dirai-je au Seigneur ma reconnaissance pour tous les biens dont il m'a comblé ?" (Ps 115, 12). Et surtout, pour cette grâce particulière qu'il a voulu m'accorder : je t'aimais d'abord d'une amitié profane et voilà que le Seigneur a fait de toi mon compagnon, mon frère dans le service divin ; quelle grâce intestimable ! Il a établi entre toi et moi les liens d'une fraternité spirituelle.
Paulin de Nole à Sulpice Sévère, Lettre 11.

dimanche 25 octobre 2009

Endurer les faiblesses de l'ami


Il ne faut jamais repousser l'amitié de quelqu'un qui entre en relations pour lier amitié ; non qu'il faille l'accueillir d'emblée, mais il faut souhaiter qu'on puisse lui faire accueil, et le traiter de façon à rendre la chose possible. Car on peut dire que celui-là a conquis notre amitié, à qui nous osons faire confidence de toutes nos intentions. Et s'il y en a un qui n'ose pas avancer pour lier amitié, parce qu'il est intimidé par la considération ou le rang dont nous jouirions dans le monde, il faut descendre jusqu'à lui, et lui offrir avec affabilité et modestie ce qu'il n'ose pas demander de lui-même. Sans doute arrive-t-il, assez rarement certes, mais tout de même quelquefois, qu'en celui dont nous avons l'intention d'agréer l'amitié, les mauvais côtés nous apparaissent avant les bons ; ils nous heurtent, ils nous repoussent, pour ainsi dire, et nous nous éloignons de la personne sans aller jusqu'à l'exploration de ses bons côtés, peut-être un peu masqués. Aussi le Seigneur Jésus-Christ, qui veut que nous devenions ses imitateurs, nous recommande d'endurer les faiblesses de cette personne, afin d'atteindre, par le support de la charité, quelques traits heureux dont le charme soit reposant. Car il dit : "Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades" (Mtt 9, 12). Et c'est pourquoi, empêchés par la charité du Christ de bannir de notre cœur celui-là même qui pourrait être malade à tous points de vue - parce qu'il peut être guéri par le Verbe de Dieu - combien moins faut-il repousser celui qui peut nous paraître entièrement gâté pour cette raison que nous avons été incapables de supporter, aux premières avances de l'amitié, certains de ses défauts, et pour celle-ci, plus grave, que nous nous sommes permis dans l'énervement de porter sur toute sa personne un jugement téméraire et préjugé, indifférents à ce qui est dit : "Ne jugez point, pour n'être pas jugés" et "On vous fera la même mesure que celle dont vous vous serez servis" (Mtt 7, 1-2).

Saint Augustin, De diversis quaestionibus, question 71.

samedi 24 octobre 2009

L'ami console

Rien ne vous servirait d'affirmer que vous n'avez point, quant à vous, de colère, et de vous persuader que vous remplissez ce commandement : "Que le soleil ne se couche pas sur votre colère", "Quiconque se met en colère contre son frère méritera d'être puni par les juges", si vous méprisez d'un cœur superbe et dur la tristesse de votre prochain, quand votre mansuétude aurait pu l'adoucir. Vous encourez au même titre le reproche de prévarication contre le précepte du Seigneur. Car Celui qui a dit que vous ne deviez pas entrer en colère contre votre prochain, a dit du même coup que vous ne deviez pas faire fi de sa tristesse. Que vous vous perdiez vous-même ou un autre, cela ne fait point de différence aux yeux de Dieu, "qui veut que tous les hommes soient sauvés".

Jean Cassien

vendredi 23 octobre 2009

Epancher son coeur


Dieu, lui-même, nous fait ses amis de petits esclaves que nous étions, comme lui-même dit : "Désormais vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous prescris". Il nous a donné le modèle de l'amitié pour que nous le suivions, à savoir : faire la volonté de l'ami, ouvrir à l'ami tous les secrets que nous avons dans le cœur, et ne pas ignorer ses sentiments intimes. Nous, montrons-lui notre cœur et que lui nous ouvre le sien. "Je vous ai dits mes amis, dit-il, pour cette raison que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître". L'ami ne cache donc rien, s'il est véridique : il épanche son âme comme le Seigneur Jésus épanchait les mystères du Père.

Saint Ambroise de Milan, De Officiis.

jeudi 22 octobre 2009

Maintenez...


Maintenez donc, mes fils, l'amitié engagée avec vos frères : rien n'est plus beau parmi les réalités humaines. C'est un réconfort en cette vie, certes, que d'avoir à qui ouvrir son coeur, avec qui partager des choses cachées, à qui confier le secret de son coeur ; que de t'assurer un homme fidèle, pour te féliciter dans les jours heureux, compatir dans les jours tristes, t'encourager dans les persécutions. Quels bons amis les jeunes Hébreux que pas même la flamme de la fournaise ardente ne détacha de leur mutuel amour !

Saint Ambroise de Milan, De Officiis.

mercredi 21 octobre 2009

Quoi de comparable ?


Quoi de plus insensé cependant, quand on peut beaucoup par la richesse, les ressources, l'influence dont on dispose, que de se procurer des chevaux, des serviteurs, des beaux vêtements, des vases précieux, toutes choses qu'on a pour de l'argent, et ne pas se procurer des amis, comme s'il existait un objet mobilier comparable en valeur et en beauté au rôle de l'amitié dans la vie ? Les autres conquêtes que l'on fait, on ne sait jamais pour qui on les fait, pour qui l'on travaille, c'est le plus fort qui en restera maître, tandis que l'amitié pour chacun, une fois acquise, demeure une possession stable et sûre.


Cicéron, De amicitia, XV.

mardi 20 octobre 2009

Un partenariat spirituel


Il était bon de nous retrouver. Notre amitié s'approfondit et s'affermit avec le passage des ans. Borys, qui paraissait souvent épuisé et surmené, a maintenant l'air reposé et détendu. Nous avons pu apprécier combien chacun comptait pour l'autre. Quand Borys m'a dit : "Un jour, nous devrions voyager ensemble", j'ai deviné à quel point il lui manquait d'avoir un compagnon durant ses nombreux voyages, quelqu'un avec qui prier, parler, avec qui se retrouver, tout simplement. J'ai senti que j'avais développé avec lui un vrai partenariat spirituel, qui s'enrichissait constamment, et j'en éprouvais une grande reconnaissance.

Henri J. M. Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 139

lundi 19 octobre 2009

J'aurais voulu...


J'ai écrit beaucoup de cartes postales cet après-midi. En écrivant, je ressentais un amour profond pour tous les amis à qui j'écrivais. J'avais le cœur rempli de gratitude et d'affection, et j'aurais voulu pouvoir prendre chacun de mes amis dans mes bras et leur laisser savoir tout ce qu'ils signifient pour moi et combien ils me manquent. On dirait que parfois la distance crée la proximité, l'absence crée la présence, la solitude crée la communauté ! Je sentais tout mon être, corps, intelligence et esprit, aspiré à donner et à recevoir l'amour sans condition, sans crainte, sans réserve.

Pourquoi me faudrait-il jamais penser ou dire quelque chose qui ne soit pas amour ? Pourquoi devrais-je abriter une rancune, ressentir haine ou jalousie, me montrer soupçonneux ? Pourquoi ne pas toujours donner et pardonner, encourager et élever, offrir remerciements et louange ? Pourquoi pas ?

Henri J. M. Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 105-106

dimanche 18 octobre 2009

Le sentiment d'abandon


Le sentiment d'abandon est toujours à l'affût. Je suis chaque fois surpris de constater à quel point il peut vite dresser sa vilaine tête. Hier, j'ai été atteint au plus profond de moi par ce sentiment pénible. Tout juste angoisse brute, sans rapport à rien, semblait-il. Constamment, je me demandais : "Pourquoi es-tu si agité, pourquoi es-tu si anxieux, pourquoi si inquiet, pourquoi te sens-tu si seul et abandonné ?"

J'ai appelé chez Nathan et laissé un message dans sa boîte vocale. Il m'a bientôt rappelé et a promis de me téléphoner de nouveau dans la soirée pour que nous ayons tout le temps voulu pour nous parler.
Cet entretien a soulagé mon angoisse et je me suis senti en paix à nouveau. Personne ne pourra jamais guérir cette blessure, mais quand je peux en parler avec un bon ami, je me sens mieux. Que faire de cette intime blessure qui si aisément est heurtée et se remet à saigner ? Ce m'est une blessure si familière. Elle m'accompagne depuis bien des années. Je ne crois pas que cette blessure - cet immense besoin d'affection et cette immense crainte de rejet - me quitte jamais. Elle est là pour rester, mais peut-être pour une bonne raison. Elle est peut-être le porche de mon salut, la porte de la gloire et la voie de la liberté !

Je me rends compte que cette blessure m'est un don déguisé. Ces multiples expériences d'abandon, courtes mais intenses, me conduisent au lieu où j'apprends à délaisser ma crainte et à remettre mon esprit dans les mains de Celui dont l'accueil est sans limite. Je suis profondément reconnaissant envers Nathan et mes autres amis qui me connaissent et qui sont prêts à panser mes blessures de sorte que, au lieu de saigner à mort, je peux avancer vers la plénitude de la vie.

Henri J. M. Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 44-45

samedi 17 octobre 2009

Purifier l'amitié


Les difficultés que j'éprouve avec la prière ne diffèrent pas sensiblement de celles que me pose l'amitié. Il faut purifier la prière aussi bien que l'amitié. Elles devraient dépendre moins d'émotions passagères et se baser plutôt sur des engagements à long terme. Sous ma plume, que ces pensées semblent sages ! Mais déjà je sais que mon corps et mon âme auront besoin d'une discipline immense pour s'accorder à cette sagesse.

Après le dîner, j'ai regardé avec Sue et Nathan le film Apollo 13, qui fait état des efforts déployés pour ramener sur terre sains et saufs trois astronautes, suite à l'échec de leur vol vers la lune. Au-delà du spectacle technologique, se profile une histoire touchant aux relations humaines et à la discipline qu'elles requièrent pour sauver des vies. Pendant que nous regardions le film, je me suis rendu compte que, d'une certaine façon, nous aussi sommes des astronautes dans un vaisseau spatial qui tentons de retrouver notre foyer. Je suppose que cette vérité s'applique à tous ceux qui prennent le risque de l'amitié.

Henri J. M. Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 23

Deux extrêmes


Alors que je quitte Daybreak pour un an, je me pose cette question : "Comment vais-je vivre mes amitiés pendant cette période ?" Vais-je me convaincre que loin des yeux, je serai loin des cœurs, et m'abandonner au désespoir ? Ou pourrai-je accéder à un nouvel espace intérieur qui me laisse espérer que l'absence comme la présence peuvent renforcer les liens d'amitié ? En toute probabilité, je passerai par les deux extrêmes de l'éventail des relations humaines. Je ferais mieux de m'y préparer. Mais quoi que je "ressente" à l'avenir, il importe que je choisisse toujours, en mon for intérieur, d'être fidèle.

Henri J. M. Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 22

vendredi 16 octobre 2009

Une véritable discipline


Lorsque je songe à l'année à venir, je me rends compte que l'amitié sera une préoccupation aussi importante que la prière. Peut-être même plus importante. Ma soif d'amitié est telle qu'elle peut sembler "anormale". Quand je pense aux chagrins et aux joies de ma vie, je constate qu'ils n'ont que très peu à voir avec le succès, l'argent, la carrière, la patrie ou l'Eglise, mais tout à voir avec l'amitié. Les liens que j'ai tissés avec Nathan et Sue le démontrent.

Pendant mes neuf années à Daybreak, j'ai vécu avec eux des moments d'extase comme des moments d'agonie. Je me suis senti aussi bien rejeté que soutenu, abandonné qu'accepté, détesté qu'aimé. Par là, j'aurai appris que l'amitié demande une véritable discipline. Rien ne peut-être tenu pour acquis, rien n'arrive de façon automatique, rien ne naît sans un effort intense. L'amitié exige confiance, patience, prévenance, courage, repentir, indulgence, reconnaissance et, avant tout, fidélité. C'est avec stupéfaction que je constate combien souvent j'ai pensé que tout était fini, que Nathan et Sue m'avaient trahi ou délaissé, et avec quelle facilité des sentiments de jalousie, de rancune, de colère et de dépression m'avaient envahi. Il est encore plus étonnant de m'apercevoir que nous sommes encore des amis, oui, les meilleurs des amis. Mais il faut dire que chacun de nous a dû y mettre du sien.

Henri J. M. Nouwen, Journal de la dernière année, Editions Bellarmin 2004, p. 22

jeudi 15 octobre 2009

Apparentés


Quand on a pour quelqu'un de l'amitié, de l'amour, un désir quelconque, la raison qui font qu'on a ces sentiments, et sans laquelle on ne les éprouverait pas, est qu'on est apparenté à celui qu'on aime par l'âme, par quelque qualité de l'âme, par le comportement ou par l'aspect.

Platon, Lysis, 222a.

samedi 10 octobre 2009

Une certaine parenté


Si vous êtes amis l'un de l'autre, c'est que votre nature vous apparente en quelque sorte l'un à l'autre. Nous reconnaissons qu'une certaine parenté de nature produit nécessairement l'amitié. Si ce qui est apparenté diffère de ce qui est semblable, alors, à ce qu'il me semble, ce qu'est l'amitié est à peu près établi.

Platon, Lysis, 221e à 222b-c.

mardi 6 octobre 2009

La constance de l'amitié


L'amitié doit être constante, persévérer dans l'affection : nous ne devons pas d'une manière enfantine, changer d'amis par une sorte de vagabondage du sentiment. Ouvre ton coeur à ton ami pour qu'il te soit fidèle et que tu puises en lui l'agrément de ta vie : "Un ami fidèle en effet est un remède de la vie" (Ecclésiastique 6, 16) en vue de l'immortalité. Respecte ton ami comme un égal, n'aie pas honte de devancer ton ami par le devoir du service rendu ; l'amitié en effet ignore l'orgueil. C'est en effet pourquoi le sage dit : "Ne rougis pas de défendre un ami" (Ecclésiastique 22, 25). Ne manque pas à un ami dans le besoin, ne le délaisse pas, ne l'abandonne pas ; car l'amitié est une aide de la vie. Aussi, en elle, portons-nous nos fardeaux, comme l'apôtre l'a enseigné (Ga 6, 2) : il parle en effet à ceux que la charité de cette amitié a unis. Et en effet, si la prospérité d'un ami aide ses amis, pourquoi, également dans l'adversité d'un ami, l'aide de ses amis ne serait-elle pas à sa disposition ? Aidons par un conseil, apportons nos efforts, compatissons avec affection. Si c'est nécessaire, supportons, à cause de l'ami, même les épreuves.

Ambroise de Milan, De Officiis, III, XXI.

lundi 5 octobre 2009

Ne pas craindre d'en faire trop


En amitié, il ne faut pas craindre d'en faire trop. La mesquinerie est inconciliable avec l'amitié.

La deuxième opinion consiste à chercher la mesure de l'amitié dans l'égalité des services rendus et du bon vouloir manifesté. C'est vraiment la soumettre à un calcul bien étroit, bien mesquin, que de tenir pareille comptabilité où dépenses et recettes devraient s'équilibrer. Je crois que l'amitié véritable est plus riche, plus prodigue, qu'elle n'examine pas minutieusement si elle ne rend pas plus qu'elle n'a reçu : elle ne ressemble pas à un moissonneur qui craint de laisser tomber, d'abandonner au sol, un peu de grain, elle ne redoute pas d'en trop faire.

Cicéron, De Amicitia, XVI.

samedi 3 octobre 2009

Une chose que j'ai toujours désirée


Depuis mon enfance, il est une chose que j'ai toujours désirée ; chacun a la science : pour l'un, ce sont les chevaux, pour un autre les chiens, pour un autre l'or ou les honneurs. Quant à moi, tous ces objets me laissent froid ; mais je désire passionnément acquérir des amis, et un bon ami me plairait infiniment plus que la plus belle caille du monde, le plus beau des coqs, voire même par Zeus, le plus beau des chevaux ou des chiens. Je crois, par le chien ! que je préférerais un ami à tous les trésors de Darius, tant je suis avide d'amitié.

Platon, Lysis, 221e.